CONQUÉRIR CONSTANTINOPLE, UN VIEUX RÊVE RUSSE

Byzance, Constantinople, Istanbul… ces noms laissent toujours rêveur. Cette ville, située à la croisée de l’Orient et de l’Occident, a suscité moulte convoitises, et notamment de la part de la Russie.

L’aigle bicéphale - symbôle de l’Empire Byzantin

Byzance, nom initial de cette ville comprise dans l’Empire Romain, prendra le nom de Constantinople en 330 (après J.C) de part la volonté de l’Empereur romain Constantin d’en faire la nouvelle capitale de l’Empire (Constantinopolis = en grec : la ville de Constantin). Elle restera la capitale de l’Empire Romain d’Orient ou « Empire Byzantin » jusqu’à sa conquête en 1453 par les Turcs, avant de devenir la nouvelle capitale de l’Empire Ottoman. Elle conservera le nom de « Constantinople » jusqu’en 1930, lorsqu’elle sera renommée « Istanbul » sous la volonté d’Atatürk, Président de la République de Turquie de 1923 à 1938.

Alors que la ville était encore Romaine, les « Rus’ de Kiev » l’assiégèrent à trois reprises (860, 907 et 941). Toutefois, leur objectif n’était pas tant de la conquérir que d’obtenir une rançon en contrepartie de la levée du siège. Si cette stratégie fonctionna lors deux premières attaques, la troisième fût un échec cuisant (grâce au fameux feu grégeois utilisé par les Byzantins). Après cet échec, les Rus’ n’ont pas réitéré l’aventure.

Après la « chute de Constantinople » en 1453, lorsque la ville fut conquise par les Turcs, le rêve de la reprendre s’ancrer profondément dans le cœur des russes.

Constantinople était alors le centre de la religion orthodoxe. Avec son invasion par les Ottomans, Moscou devient le nouveau bastion de l’orthodoxie et se revendique comme la « troisième Rome ». La première étant Rome elle-même, la deuxième Constantinople, Moscou s’affirme comme son héritière légitime, à la fois dépositaire de l’Empire Romain d’Orient et défenseur de la foi orthodoxe - religion officielle du « dernier Empire romain ».

Cette prétention se renforce en 1472, lorsqu’Ivan III, Grand-Prince de Vladimir et de Moscou, épouse Zoé Paléologue, nièce du dernier Empereur Romain d’Orient. Pour mieux s’intégrer à la cour russe, celle-ci abandonne son prénom grec et adopte celui de « Sophie ».

Grâce à ce mariage, Moscou s’approprie l’un des symboles majeurs de l’Empire Romain d’Orient : l’aigle bicéphale, que Zoé apporte en dot à son époux. Hormis durant la période soviétique, cet emblème restera celui de la Russie jusqu’à aujourd’hui.

Ivan III peut ainsi revendiquer l’héritage de l’Empire Romain. Il adopte même officieusement un titre romain : TSAR, contraction de CESAR. Son petit-fils, Ivan IV, plus connu sous le nom d’Ivan le Terrible, sera le premier à se faire couronner officiellement « Tsar de toutes les Russies ».

Armoiries de l’Empire russe (jusqu’en 1917)

Armoiries de la Fédération de Russie (de nos jours)

Le titre est romain, l’emblème est romain : la Russie peut se prétendre l’héritière de l’Empire Byzantin. Mais il lui manque encore un élément essentiel: la capitale, Constantinople.

La Tsarine / Impératrice Catherine II la Grande a souhaité faire de ce rêve une réalité. C’est ce qu’elle appelle le « projet Grec » préparé en 1770 : restaurer un empire néo-byzantin qu’elle confierait à son petit-fils, qu’elle a – sans surprise – prénommé Constantin.

Ce projet secoue le monde occidental, un philosophe italien – un brin misogyne – écrira : « Qu'adviendra-t-il de nous et de nos règlements si une femme possède un morceau du monde allant de la Sibérie à l'Egypte ? Sauve qui peut ! » (Alessandro Verri).

Le projet tombe à pic : la Russie est alors en guerre contre l’Empire Ottoman dans le cadre de la guerre russo-turque de 1768-1774. Finalement, elle se contente d’établir sa suzeraineté sur la Crimée, d’obtenir l’autorisation de construire une église orthodoxe à Constantinople et de recevoir un important tribut. Une deuxième guerre éclate de 1787 à 1792. Cette fois encore, la Russie se limite à faire de la Crimée une partie intégrante de son empire. Le projet Grec ne verra jamais le jour.

Expansion de la Russie au détriment de l’Empire Ottoman

Le Tsar Nicolas Ier entre en guerre contre l’Empire Ottoman et tente d’atteindre Constantinople en 1829. Cependant, l’armée s’arrête à quelques dizaines de kilomètres de la ville lorsque le Sultan engage des négociations. Préférant la prudence, le tsar opte pour un traité de paix avantageux plutôt que de risquer une coalition des puissances européennes contre la Russie.

Son intuition se révèla juste.

En 1853, Nicolas Ier entre à nouveau en guerre contre l’Empire Ottoman lors de la guerre de Crimée ». Mais, cette fois, l’Empire français de Napoléon III, le Royaume-Uni et le Royaume de Sardaigne s’allient à l’Empire Ottoman de peur de voir l’Empire Russe devenir trop puissant en cas de victoire. Cette guerre est un échec pour la Russie.

Guerre de Crimée

Le schéma se reproduit lors la guerre russo-turque de 1877-1878. Lorsque les russes se rapprochent dangereusement de Constantinople, la marine britannique intervient pour soutenir l’Empire Ottoman. Face à cette menace,  la Russie choisit de stopper son avancée à Adrianople et de conclure un nouveau traité de paix avantageux avec l’Empire Ottoman.

Pendant la Première Guerre mondiale, Nicolas II – dernier Tsar de Russie – tente à son tour de s’emparer de Constantinople. En 1914, la France, le Royaume-Uni et la Russie (la Triple Entente) entrent en guerre contre l’Allemagne, l’Autriche et – on peut l’avoir oublié – l’Empire Ottoman. Une belle opportunité pour la Russie.

En 1915, des négociations secrètes ont lieu entre les membres de la Triple Entente afin de décider du sort de l’Empire Ottoman une fois la victoire acquise. La Russie se voit promettre – entre autres – Constantinople. Les révolutions russes de 1917, et en particulier l’arrivée au pouvoir des Bolchéviks suivi du retrait de la Russie de la guerre, mettent un terme à ce projet. L’Empire Ottoman s’effondre, mais la Russie – devenue URSS – ne récupère rien. La nouvelle République de Turquie conserve Constantinople, qui sera renommée Istanbul en 1930.

Au final, la Russie n’est jamais parvenue aux portes de Constantinople, mais elle aura tenté de s’en emparer pendant plus de 250 ans.

Notons que ce vieux rêve est également partagé par la Grèce, où des manifestations ont eu lieu (notamment en 2013) pour commémorer la chute de Constantinople et revendiquer son statut de véritable capitale de la Grèce – la Grèce qui faisait partie, après tout, de l’Empire Byzantin.

 Tristan CHOPPIN HAUDRY de JANVRY

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