L’heure : quand la politique l’emporte sur la course du soleil
I – La détermination de l’heure dans l’histoire
(L’évolution de la mesure du temps est compliquée à synthétiser car cela touche à l’ingénierie, la physique et l’astronomie. Cette partie peut donc paraître approximative)
La mesure du temps repose sur l’observation de la course du Soleil, un principe établi depuis l’Egypte antique. Son fonctionnement est simple : le temps écoulé entre le moment où le Soleil se lève à l’Est, se couche à l’Ouest puis se lève de nouveau à l’Est est un « jour » ou une « journée ». La « journée » est divisée en deux parties : le « jour » qui s’étend du lever au coucher du Soleil, et la « nuit », qui commence lorsque le Soleil se couche et se termine lorsqu’il se lève.
Dès l’Egypte antique, la journée était divisée en 24 heures : 12 heures de jour et 12 heures de nuit. Cette division de la journée en 24 heures fut reprise par les Babyloniens (VIIe siècle avant JC), par la Grèce Antique puis par la Rome Antique et elle perdure encore aujourd’hui. La division du temps de nos journées en 24 heures est donc d’origine Egyptienne. La division de l’heure en 60 minutes, et la minute en 60 secondes, nous vient des Babyloniens. Ils ont adopté le nombre « soixante » car il a la particularité de posséder un grand nombre de diviseurs entiers (1, 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20, 30 et 60), ce qui facilitait les calculs astronomiques.
Le principal problème du cadran solaire est que l’heure varie en fonction du lieu et de la saison. En effet, la Terre étant ronde et inclinée sur son axe, le Soleil se lève ou se couche plus tôt ou plus tard selon la position géographique (par exemple, le coucher du Soleil n’a pas lieu à la même heure à Brest et à Nice). De plus, l’influence de la saison est importante : en été, la course du Soleil est nettement plus longue qu’en hiver, rendant ainsi une « heure » perçue comme plus « longue » en été qu’en hiver.
Ce système n’étant pas viable à long terme, il perdurera pendant des millénaires, faute de mieux.
L’invention de l’horloge mécanique au XIVe siècle n’y change pas grand-chose, car le mouvement du balancier est calculé sur le temps solaire.
Tout bascule au XIXe siècle avec l’invention du « temps moyen » : on prend un soleil fictif qui se déplace autour de l'équateur à vitesse constante tout au long de l'année. Une heure a donc toujours la même “durée”.
En 1826, la ville de Paris fixe le « temps moyen de Paris » sur la base du méridien de Paris qui passe par le centre de l’Observatoire de Paris. En 1891 : toute la France se met à l’heure parisienne.
Méridien de Paris traversant la France
Médaillon matérialisant le méridien de Paris (135 médaillons dans Paris)
Outre-Manche, la même logique s’impose : le Royaume-Uni adopte officiellement le « temps moyen de Greenwich » en 1880.
Le principe est simple l’heure reste identique tout au long du méridien de référence (Paris ou Greenwich), mais elle varie dès que l’on s’en éloigne, donnant naissance aux fuseaux horaires.
Il s’agit avant tout d’une décision politique : la France se règle sur le temps moyen de Paris, tandis que le Royaume-Uni adopte le temps moyen de Greenwich.
En 1884, la Conférence internationale de Washington décide d’uniformiser le partage du globe terrestre en 24 fuseaux horaires, en référence aux 24 heures de la journée. Pour cela, il faut choisir un méridien international de référence pour établir ces fuseaux horaires : c’est le méridien de Greenwich qui est retenu, donnant naissance au GMT (Greenwich Meridian Time).
La France fera de la résistance et n’adoptera le GMT qu’en 1911.
Méridien de Greenwich traversant la France
Méridien de Greenwich matérialisé à Villers-sur-Mer (Normandie)
Au départ, c’est le Soleil qui détermine l’heure, et l’heure les minutes et les secondes. En 1967, avec la 13e Conférence générale des poids et mesures, la logique est inversée : c’est désormais la seconde qui définit la minute (60 secondes) et l’heure (3.600 secondes). La seconde n’est plus liée à la course du Soleil mais basée directement sur l’atome. C’est l’horloge atomique.
Le monde entier peut désormais avoir une unité de temps commune, quel que soit le lieu ou la saison : une heure correspond à 3.600 secondes, lesquelles sont calculées sur l’atome. Ainsi, une « heure » a la même durée que l’on se trouve à Tokyo ou à Santiago, que ce soit le 21 décembre ou le 21 juin. Le Soleil n’a plus grand chose à voir avec le temps.
Pour maintenir une certaine connexion avec le Soleil, on invente l’heure universelle coordonnée (UTC), qui combine l’heure atomique (stable mais déconnectée de la rotation de la Terre), et le temps universel (TU), directement lié à la rotation de la Terre. C’est ce système qui est en place dans le monde depuis 1972.
Qui décide donc de l’heure dans le monde ?
L’heure est déterminée par la combinaison de deux organisations internationales, toutes deux basées en France :
· le Bureau international des poids et mesures (BIPM), dont le siège est à Saint-Cloud, qui établit l’heure atomique internationale (TAI) à partir d'environ 450 horloges atomiques réparties dans plus de 80 laboratoires à travers le monde ;
· le Service international de la rotation terrestre et des systèmes de référence (IERS), dont le siège est à Paris, qui ajuste l’heure atomique en ajoutant ou en retranchant des secondes intercalaires afin de maintenir la concordance avec la rotation de la Terre. L’heure ainsi obtenue est l’UTC.
II – La politique de l’heure en Europe de l’Ouest et en particulier en France
Comme vu supra, la France utilisait l’heure solaire jusqu’au XIXe siècle.
En 1826, la ville de Paris adopte « son heure », le « temps moyen de Paris ».
Cependant, chaque ville conserve « son heure », car l’heure reste basé sur l’heure solaire local. Il existait ainsi plusieurs fuseaux horaires à l’intérieur même du pays. L’essor du chemin de fer va bouleverser cette situation. Imaginez aujourd’hui un Paris-Brest en train : le trajet dure 3h27. Si vous partez de Paris à midi, vous devriez arriver à 15h27. Mais au XIXe siècle, en raison de la différence d’heure solaire entre Paris et Brest (environ 30 minutes en mai), vous seriez officiellement arrivé à 15h, et non 15h27.
C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui lorsqu’on change de fuseau horaire en voyageant. Mais au XIXe siècle, cette confusion existait partout en France, créant une véritable cacophonie. Face à ce problème, certaines villes décident alors d’afficher sur leurs horloges publiques à la fois l’heure de Paris et l’heure locale (c’est-à-dire l’heure solaire). Peu à peu, les compagnies de chemins de fer adoptent toutes l’heure de Paris comme référence.
Il faudra attendre une décision politique, avec la loi du 14 mars 1891, pour que l’heure de la France métropolitaine et de l’Algérie soit fixée sur le temps moyen de Paris.
L’heure de Paris est presque identique à celle de l’heure de Greenwich, avec seulement 9 minutes d’écart. Lorsque le monde adopte les fuseaux horaires basés sur l’heure de Greenwich, la France s’y conforme, mais l'ajustement est minime : il suffit de retarder les horloges de 9 minutes. La France se met donc à l’heure anglaise en 1911.
Paris et Londres à la même heure ? Etrange, puisque chacun sait que Londres a aujourd’hui une heure de moins que Paris. Là encore, la politique s’en est mêlée.
Puisque le méridien de Greenwich traverse la France, il est logique que la France et le Royaume-Uni partagent la même heure, de même que l’Espagne. En tenant compte des méridiens, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas devraient également être à l’heure de Londres.
Situés plus plus à l’Ouest, le Portugal et l’Irlande devraient logiquement avoir une heure de moins que le Royaume-Uni. Cependant, pour des raisons politiques, ils choisissent de s’aligner sur l’heure de Londres (en 1911 pour le Portugal et en 1968 pour l’Irlande).
En revanche, la France, l’Espagne, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas ont adopté l’heure de Berlin, soit une heure de plus que Londres, en raison de la seconde guerre mondiale.
Lorsque l’Allemagne nazie occupe le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas, l’heure de Berlin y est imposée. En 1940, la France est divisée en deux : la « France occupée » et la « France de Vichy » dirigée par le Maréchal Pétain. La « France occupée » est contrainte de passer à l’heure allemande dès 1940. La « France de Vichy » choisit, sans y être contrainte, d’adopter elle aussi l’heure allemande en 1941.
L’Espagne, quant à elle, n’est pas occupée par l’Allemagne nazie, mais son dirigeant, Franco, est un allié d’Hitler. En signe de rapprochement politique, il décide en 1940 d’aligner son pays sur l’heure allemande.
Aucun pays ayant adopté l’heure allemande pendant la Seconde Guerre mondiale ne reviendra par la suite à son heure d’origine.
Fuseaux horaires hypothétiques en Europe si chaque pays appliquait strictement l’horaire solaire de sa région principale.
Fuseaux horaires actuels en Europe.
On finit donc par mettre complètement de côté l’heure réelle : l’heure solaire.
La France pousse même le décalage plus loin en ajoutant une heure supplémentaire en été, dans le but de réaliser des économies d’électricité, une mesure mise en place dès 1976.
Ainsi, l’« heure d’hiver » en France correspond déjà en réalité à l’« heure d’été » par rapport à l’heure solaire, la « vraie » heure de la France étant celle de Londres. En y ajoutant encore une heure en été, l’écart avec l’heure solaire est encore accentué.
Résultat : en été, le décalage atteint environ 2h30 à Brest, 2h à Paris et 1h30 à Nice par rapport à l’heure solaire.
Mais alors, quelle est l’heure réelle ? Un site vous permet de connaître l’heure solaire exacte, qui varie selon votre localisation : https://heuresolaire.com/.
Grâce à ses territoires d’Outre-Mer, la France est le pays qui couvre le plus de fuseaux horaires au monde, devant le plus « long » pays du monde, la Russie : 13 fuseaux horaires en hiver et 14 en été pour la France, contre « seulement » 11 pour la Russie.
Tristan CHOPPIN HAUDRY de JANVRY