ALLEMAGNE : L’UNIFICATION PAR LA GUERRE
Nous connaissons aujourd’hui « une » Allemagne, mais jusqu’à la fin du XIXe siècle elle n’existait pas. Bismarck, ministre de la Prusse, met en œuvre un projet : réunir tous les Etats Allemands autour de la Prusse pour former un Reich (Empire) allemand. Pour achever son œuvre, il faut une guerre, et pas avec n’importe qui : la France de Napoléon III, et par là venger la Prusse de la défaite humiliante que l’oncle de ce-dernier, Napoléon Ier, lui avait infligé en 1806 à Iena.
1870, 1914, 1939 : l’Allemagne a envahi la France trois fois en 70 ans, une vie d’homme. La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) n’aurait pas eu lieu sans la Première (1914-1918), laquelle n’aurait pas eu lieu sans la guerre de 1870-1871. La France peut « remercier » un homme : Bismarck. Un politicien hors-pair qui a traité les Etats européens comme des marionnettes pour assouvir son rêve.
Deux épisodes montrent le génie de cet homme : l’un par lequel la France a été poussée à déclarer la guerre à l’Allemagne en 1870 (la « dépêche d’Ems »), l’autre par lequel il a su qu’il ne pouvait entamer une seconde guerre contre la France en 1875 au risque de voir l’Empire Allemand, son œuvre, s’effondrer (la « crise Krieg-in-Sicht »).
I - La dépêche d’Ems
Bismarck commence la réunification des Etats allemands en provoquant d’abord une guerre avec l’Autriche en 1866, en faisant en sorte que ce soit l’Autriche l’agresseur. La manœuvre fonctionne, des Etats allemands sont absorbés par la Prusse. Mais des Etats font encore de la résistance, notamment la puissante Bavière. Il faut une nouvelle guerre dans laquelle la Prusse serait à nouveau en position d’être agressée pour rallier les derniers récalcitrants qui voleraient alors au secours de leur voisin germanique. La France s’avère être un candidat idéal.
Napoléon III s’était engagé militairement dans l’unification italienne et avait obtenu en remerciement deux territoires : la Savoie et le Comté de Nice. Voyant l’Allemagne s’unifier, il espère en tirer profit. En gage de neutralité, il demande la Belgique et le Luxembourg. Bismarck entre en négociation, feignant un soutien, puis montre le projet de traité au Royaume-Uni et à la Belgique : ces Etats s’offusquent du projet d’expansion territoriale français, la France perd deux potentiels alliés en cas de guerre.
La France isolée diplomatiquement, il ne reste plus qu’à la provoquer pour qu’elle déclare la guerre à la Prusse, et tout va se jouer en quelques semaines.
Depuis 1868, le trône d’Espagne est vacant, et les candidatures au trône vont bon train. Un membre de la famille royale prussienne, Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, se porte candidat. Bismarck fait une déclaration publique sur cette candidature le 2 juillet 1870. La France s’emballe : déjà que la Prusse, frontalière, se renforce, voilà qu’elle prendrait le contrôle d’un autre pays frontalier, l’Espagne. La France encerclée ? Jamais ! Les discours bellicistes se font entendre de tout bord : soit la Prusse retire cette candidature, soit c’est la guerre.
Napoléon III dépêche un ambassadeur en Prusse pour désamorcer la situation. L’ambassadeur se rend d’abord à Berlin pour rencontrer Bismarck, absent. Il apprend que le Roi de Prusse prend les eaux à Ems, il s’y rend – après tout, la parole du Roi vaut plus que celle de son ministre. Le Roi de Prusse Guillaume Ier ne souhaite pas la guerre, il est donc aisément convaincu par l’ambassadeur français. Le 9 juillet : il demande à Léopold de retirer sa candidature au trône d’Espagne, et le retrait est annoncé publiquement le 12 juillet.
Bismarck, pris à contre-pied, est furieux. Il menace de démissionner si le Roi de Prusse reçoit une fois encore l’ambassadeur français. Napoléon III, lui, n’est pas satisfait de la déclaration du 12 juillet : il veut un engagement ferme qu’aucun membre de la maison royale prussienne ne candidatera au trône d’Espagne, “à jamais”. L’ambassadeur français demande alors une nouvelle audience au Roi de Prusse, qu’il ne peut obtenir officiellement. Le 13 juillet, l’ambassadeur français décide alors d’accoster directement Guillaume Ier pendant sa promenade et ce qui se dit déclenchera la guerre, alors que ni Napoléon III, ni Guillaume Ier, n’en voulaient.
Guillaume Ier envoie un télégramme à Bismarck pour l’informer de la conversation qu’il a eu avec l’ambassadeur français. Alors que Guillaume Ier explique qu’il a courtoisement rejeté la requête de l’ambassadeur français au motif qu’il n’est pas possible de prendre des engagements “à jamais", Bismarck va rédiger une version trafiquée pour les ambassadeurs allemands pour faire croire que l’ambassadeur français s’est vu prendre un camouflet. Alors que l’ambassadeur français a quand même pu discuter avec le Roi de Prusse, Bismarck fait croire que le Roi de Prusse a refusé de le recevoir. Pis, le Roi de Prusse aurait fait savoir à l’ambassadeur français par un « adjutant » qu’il n’a plus rien à lui dire.
Le télégramme officiel est relayé par l’agence de presse allemande contrôlé en sous-main par… Bismarck. La dépêche arrive en France, déjà que le Roi de Prusse aurait refusé de recevoir l’ambassadeur français et renoncé à s’engager sur l’absence d’une nouvelle candidature prussienne au trône d’Espagne, une erreur de traduction met de l’huile sur le feu : « adjutant » est traduit par « adjudant », un sous-officier en France, ce qui montre que le Roi de Prusse a délibérément voulu humilier l’ambassadeur français en lui faisant passer le message – alors qu’un adjutant, en Prusse, est un officier de l’Etat-Major, un homologue à la hauteur d’un ambassadeur.
Résultat : une conversation courtoise entre l’ambassadeur français et le Roi de Prusse se transforme en incident diplomatique majeure. Côté Allemand, Bismarck fait distribuer des tracts gratuitement où l’on voit l’ambassadeur français harceler le Roi de Prusse alors qu’il prend les eaux. Côté français, l’opinion publique est unanime : elle veut la guerre. Le 19 juillet 1870, la France déclare officiellement la guerre à la Prusse, sans allié.
Bismarck a réussi son coup : tous les Etats allemands s’unissent pour faire front contre l’agresseur français, la France est écrasée, le Second Empire français devient une République, et l’Empire Allemand est proclamé en 1871.
II - Crise Krieg-in-Sicht
Le traité conclu le 10 mai 1871 à Francfort entre la République Française et l’Empire Allemand met fin à la guerre. La France est amputée de territoires importants, notamment l’Alsace-Moselle, et elle doit verser une lourde indemnité à l’Allemagne : 5 millards de francs-or en 3 ans.
L’Allemagne est déçue : la France verse l’indemnité en seulement deux ans, l’Allemagne aurait pu demander plus. La France se remet vite de sa défaite, très vite, trop vite.
A chaque fois que la France lance une demande d’emprunt, on lui offre jusqu’à 15 fois plus. L’argent coule à flot, l’économie repart et, surtout, la France se réarme. Seulement 4 ans après sa défaite de 1871, la France revient encore plus forte. Bismarck s’inquiète, si la France continue dans cette voie, elle égalera l’Empire Allemand et serait tentée de déclencher une guerre pour récupérer l’Alsace-Moselle. Bismarck pense à faire une guerre préventive, c’est-à-dire attaquer la France avant qu’elle ne soit trop forte pour être battue. Seulement, si d’autres puissances européennes s’allient cette fois-ci à la France, l’Allemagne ne fera pas le poids.
Comme en 1870, Bismarck utilise la ruse. Le 8 avril 1875, le Zeitung Post, un journal proche du pouvoir, publie un article dont le titre est Ist Krieg in Sicht? (« La guerre est-elle en vue? »). Cet article, rédigé à la demande de Bismarck, menace la France d’une guerre si elle continue à se réarmer. Le but de cet article de presse, qui a l’avantage de ne pas être un communiqué officiel et peut donc être démenti par le pouvoir, est d’observer comment réagiraient les puissances européennes en cas d’une nouvelle guerre France-Allemagne.
La Russie et le Royaume-Uni répondent : en cas d’une nouvelle guerre, ils soutiendront la France. Bismarck a été malin, il a sa réponse, il ne s’aventurera pas dans cette folie.
39 ans plus tard, Bismarck le rusé ne sera plus là, l’Allemagne déclarera la guerre à la France le 3 août 1914. La France ne sera pas seule, la Russie et le Royaume-Uni seront à ses côtés – comme Bismarck l’avait découvert en 1875. En sus, l’Italie et les Etats-Unis renforceront les rangs. L’Empire Allemand ne fera pas le poids, comme Bismarck l’avait prédit. En 1918, la France victorieuse récupérera ses territoires perdus en 1870, l’affront sera levé, et l’Empire Allemand de Bismarck prendra fin, comme il le redoutait.
Mais l’humiliation subie par l’Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale finira par voir naître un nouveau Reich, le IIIe Reich, qui entraînera le monde dans le conflit le plus dévastateur de l’histoire.
Tristan CHOPPIN HAUDRY de JANVRY