UNE TÂCHE SUR LES CROISADES : LA PRISE DE CONSTANTINOPLE DE 1204

Contre toute attente, des catholiques partis en croisade se sont détournés de leur objectif et ont envahi Constantinople (aujourd’hui Istanbul), pourtant chrétienne. Cet affront fut tel que, 800 ans plus tard, le pape Jean-Paul II présentera ses excuses à l’Église orthodoxe.

Drapeau de l’Empire latin de Constantinople (1204-1261)

Les croisades ont pour objectif de permettre aux chrétiens en pèlerinage d’accéder à Jérusalem. On en comptera neuf dans l’histoire. C’est la quatrième qui nous intéresse ici.

La première Croisade (1095-1099) avait été une réussite : les chrétiens avaient conquis Jérusalem et même créé plusieurs États latins en Orient, dont le royaume de Jérusalem. Celui-ci, gravement menacé par les musulmans, entraîne l’organisation d’une deuxième Croisade (1146-1149), qui sera un échec complet en Terre sainte. Jérusalem sera finalement reprise par les musulmans en 1187.

Une troisième Croisade est alors lancée en 1189 pour reprendre Jérusalem, avec à sa tête trois illustres personnages : le roi de France Philippe Auguste, le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion et l’empereur germanique Frédéric Barberousse. Une partie de la Terre sainte est reconquise, mais pas Jérusalem. La troisième croisade s’achève en 1192 avec un sentiment d’inaccompli.

Fraîchement élu, le nouveau pape Innocent III lance un appel à une nouvelle croisade en 1198. La France et l’Angleterre sont en guerre, l’Empire germanique est hostile au pouvoir pontifical, et l’échec de la troisième Croisade est dans toutes les têtes : les grands États sont frileux face à cette nouvelle et périlleuse entreprise. Ce sont des chevaliers français qui, seuls, vont décider de tenter l’aventure. Ces chevaliers, devenus croisés, cherchent des navires pour traverser la Méditerranée. La république de Gênes refuse, mais celle de Venise accepte. Les croisés tombent en réalité dans un piège.

Venise demande le paiement de 85 000 marcs d’argent contre l’affrètement des navires. Arrivés au port de Venise, les croisés ne disposent que de 51 000 marcs. Le doge de Venise accepte de différer la dette à condition que les croisés prennent la ville de Zara (dans l’actuelle Croatie) pour le compte de Venise. Mais Zara est peuplée de catholiques. Pour une armée catholique censée combattre les musulmans et défendre les catholiques, c’est un comble. Certains croisés décident de rentrer chez eux, les autres attaquent. Zara est prise. Le pape, furieux, excommunie les croisés. Apprenant qu’ils avaient été victimes d’un chantage des Vénitiens, le pape leur accorde finalement son pardon, mais pas aux Vénitiens.

Apprenant la prise de Zara, un prince byzantin, Alexis IV Ange, fils de l’empereur Isaac II, qui s’est fait usurper le trône de l’Empire romain d’Orient (ou Empire byzantin) par son frère, demande de l’aide aux croisés pour prendre Constantinople et accéder au trône impérial. Alexis promet 200 000 marcs aux croisés ainsi que 10 000 hommes pour renforcer leur armée s’il accède au trône. L’offre est trop alléchante : elle permet de régler très largement la dette aux Vénitiens et d’augmenter les effectifs. Les croisés embarquent de nouveau pour attaquer une ville chrétienne.

Reconstitution de Constantinople

Les croisés assiègent Constantinople en 1203. La ville n’est pas prise, mais l’usurpateur prend la fuite. Alexis IV Ange monte sur le trône, mais en qualité de co-empereur avec son père, Isaac II. Les croisés et Vénitiens sont mécontents : selon l’accord, seul Alexis IV Ange aurait dû accéder au trône. Pire encore, l’usurpateur s’est enfui avec le trésor, et les caisses de Constantinople sont vides. Alexis IV Ange est dans l’incapacité de verser aux croisés la somme promise ; ces derniers menacent alors de prendre et de piller la ville. Les Byzantins voient le péril et regrettent amèrement le couronnement d’Alexis IV Ange, qui a amené dans ses bagages une telle menace pour Constantinople. Une révolte éclate : Alexis IV Ange est assassiné, et son père meurt emprisonné quelques jours plus tard. Un nouvel empereur, Alexis V Doukas, est couronné. La guerre avec les croisés et les Vénitiens est déclarée.

Les croisés et les Vénitiens se lancent alors dans une tâche que personne ne croyait possible jusqu’ici : conquérir la richissime mais imprenable Constantinople.

La forteresse Constantinople

Encerclée de murailles, Constantinople est une forteresse :

  • côté terre : 6,5 km de murs protègent la ville. La défense terrestre est composée de douves de 20m de large et de 10m de profondeur, puis d’un premier mur d’1,5m de haut. Si vous arrivez à passer les douves et ce premier mur, un espace vide de 20m vous attend dans lequel vous serez assaillis de flèches venant d’un second mur de 9m de haut. Si tant est que les douves et les deux premiers murs ne furent pas suffisant, un troisième de 12m de haut, comprenant 96 tours de 15 à 20m de hauteur vous attendent.

Reconstitution 3D des murs de Théodose (défense terrestre)

Coupe de la défense terrestre

Murs de Théodose aujourd’hui

  • côté mer (Bosphore) : 9km de murs d’une hauteur de 12 à 15m. Le mur est bâti à même la mer, rendant tout débarquement impossible et empêchant toute attaque directe par bateau.

Reconstitution 3D des murailles maritimes côté Bosphore

  • côté mer (Corne d’Or) : 5,6km de murs d’une hauteur de 10m. Ce mur n’est pas bâti à même la mer mais est situé à quelques mètres du rivage. Il est donc possible de débarquer par bateau et de tenter d’escalader le mur. Il s’agit du point faible de la défense de Constantinople. Les Byzantins en sont conscients, c’est pourquoi l’entrée de la Corne d’Or est fermée par une solide chaîne empêchant le passage des navires.. 

Murailles côté Corne d'Or et sa chaîne de protection à l'entrée

Constantinople, maintes fois assiégée, jamais conquise... jusqu’à ici.

Les Croisés et les Vénitiens se lancent dans cette périlleuse aventure, mais ils disposent d’un avantage certain : depuis le siège de 1203, ils se sont installés dans la Corne d’Or, de l’autre côté de la chaîne. Ils partent directement à l’assaut des remparts et, après plusieurs échecs, parviennent finalement à pénétrer dans la ville. L'empereur s’enfuit, laissant Constantinople à la merci des envahisseurs. Pendant trois jours, les Croisés et les Vénitiens pillent la ville, le butin total étant estimé à 900 000 marcs d’argent.

Pire encore, les pillards mettent fin à l’Empire byzantin, qui se disloque en plusieurs États, au centre desquels s’impose l’Empire latin de Constantinople. Les Byzantins, quant à eux, fondent de nouveaux États, notamment l’Empire de Nicée.

Trajet de la 4e Croisade

L’Empire latin de Constantinople ne fera toutefois pas long feu. Après un premier échec en 1260, les Byzantins de l’Empire de Nicée réussissent un coup de maître en 1261 grâce au général Alexis Strategopoulos, qui entrera dans l’histoire.

Pendant la nuit, il envoie un petit bataillon pénétrer dans la ville par un passage secret connu des fermiers. Les soldats massacrent les gardes de l’intérieur et ouvrent tout simplement les portes. Strategopoulos et ses 800 hommes seulement s’engouffrent dans Constantinople, prise au dépourvu. L’empereur de Nicée, Michel VIII Paléologue, se fait couronner empereur romain d’Orient : l’Empire byzantin renaît de ses cendres.

Cependant, Michel VIII hérite d’un empire disloqué, ruiné et considérablement affaibli. Cette fragilité perdurera jusqu’à l’inévitable : en 1453, les Turcs ottomans s’empareront de Constantinople, mettant un terme définitif à l’Empire byzantin.

Empire Byzantin à son apogée en 555 après J-C

Empire Byzantin en 1185 (avant la 4e Croisade)

Empire Byzantin dysloqué entre 1204-1261

Empire Byzantin en 1265

Les Croisés de la quatrième Croisade ne se sont jamais rendus en Terre Sainte. Si cette expédition ne s’était pas détournée pour envahir Constantinople, la ville aurait peut-être résisté en 1453, et l’Empire byzantin n’aurait alors pas connu sa chute.

Le pillage de Constantinople par les Croisés est considéré comme un événement si honteux que, 800 ans plus tard, le pape Jean-Paul II a exprimé à plusieurs reprises sa douleur à ce sujet. En 2001, il écrivait à l’archevêque d’Athènes : « Il est tragique que les assaillants, qui visaient à garantir le libre accès pour les chrétiens de Terre Sainte, se fussent retournés contre leurs frères dans la foi. Le fait qu'ils soient chrétiens latins remplit les catholiques d'un profond regret ». Puis, en 2004, lors de la visite du patriarche de Constantinople au Vatican, Jean-Paul II lui demanda : : « Comment pouvons-nous partager, après huit siècles, la douleur et le dégoût ? ». Les excuses furent acceptées par l’Eglise Orthodoxe.

Côté français, pour justifier la prise de Constantinople, les Francs ont clamé qu’en tant que descendants des Troyens, ils n’avaient fait que venger la chute de Troie, prise par les Grecs, dont les Byzantins seraient les héritiers. Ils faisaient ainsi référence à la mythique guerre de Troie — avec les célèbres Achille et Hector — ainsi qu’à la légende de leur ascendance troyenne, qui fera l’objet d’une autre chronique.

Tristan CHOPPIN HAUDRY de JANVRY

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