CUBA 1962 : LE MONDE RETIENT SON SOUFFLE

Le climat de guerre froide que connaît le monde actuellement fait naturellement écho à la « Crise des missiles de Cuba » de 1962. A cette date, les deux superpuissances, les Etats-Unis et l’URSS, sont sur le point de déchaîner l’enfer nucléaire sur le monde.

Missiles soviétiques à Cuba

Fidel Castro prend le pouvoir à Cuba par la force en 1959 avec l’aide de Che Guevara. Si les Etats-Unis sont dans un premier temps favorables au régime, les relations s’enlisent très vite, d’autant que Cuba se rapproche de l’URSS. Les Etats-Unis lancent une opération pour renverser le pouvoir en 1961 : environ 1.400 réfugiés Cubains ayant immigrés aux Etats-Unis sont recrutés et entrainés par la CIA, afin d’être débarqués à Cuba. Le « débarquement de la baie des cochons » du 17 avril 1961 est un échec, et le point de non-retour est atteint : Cuba s’allie officiellement au grand ennemi des Etats-Unis, l’URSS.

Le basculement de Cuba dans la sphère soviétique tombe à pic pour le chef du Kremlin, Nikita Krouchtchev. Les Etats-Unis ont installé en novembre 1961 des missiles Jupiter en Italie et en Turquie, et leur rayon d’action permet de frapper l’URSS. L’URSS décide alors de répondre en installant des missiles à Cuba dont le rayon d’action permet de frapper les Etats-Unis. En mai 1962, l’opération secrète « Anadyr » est lancée, et son envergure est colossale : envoyer à Cuba 50 000 soldats, trente-six missiles nucléaires ainsi que sept sous-marins.

Portée des missiles soviétiques installés à Cuba ; portée des missiles américains installés en Turquie

Les services secrets des deux Etats sont sur le qui-vive. Le 14 octobre 1962 les Etats-Unis découvrent l’installation de rampes de lancement de missiles à Cuba et que 30 navires soviétiques transportant des ogives nucléaires sont en route vers l'île. Mais des missiles nucléaires sont d’ores et déjà en place sur l’île. L’URSS pense que les Etats-Unis ne le savent pas. Pourtant, ils le sont, grâce à un agent du KGB qui travaille en fait pour MI6 (services secrets britanniques).

Le Président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy hésite : lancer une opération militaire contre Cuba ? Cette décision déclencherait une nouvelle guerre mondiale. Contre l’avis de ses conseillers, Kennedy choisit la retenue : il organise un blocus pour stopper les navires chargés d’ogives nucléaires en route pour Cuba. Kennedy obtient la promesse des membres de l’OTAN de leur soutient en cas de guerre ouverte contre l’URSS, notamment des autres puissances nucléaires : la France et le Royaume-Uni. Si un navire soviétique franchit la ligne du blocus, c’est une nouvelle guerre mondiale.

Le monde a les yeux rivés sur Cuba.

Le blocus est en place le 24 octobre 1962 à 10h. 25 minutes après, des navires soviétiques arrivent. Le monde retient son souffle. Krouchtchev leur donne l’ordre de ne pas franchir la ligne du blocus. Un ballet commence : les navires soviétiques s’arrêtent, repartent, d’autres arrivent, sans jamais franchir la ligne rouge. Kennedy est rassuré, à tort : 4 sous-marins armés de torpilles nucléaires ont passé le blocus de justesse sans être repérés.

Le 26 octobre, la marine américaine détectent les sous-marins soviétiques, la chasse est ouverte. Les Etats-Unis n’ont aucune idée qu’ils ont à leur bord des torpilles nucléaires. Khrouchtchev fait savoir à Kennedy, par le biais d'un homme d'affaires américain de retour aux États-Unis à la suite d'un voyage à Moscou, qu'il continuerait son action : « Si les États-Unis veulent la guerre, alors nous nous retrouverons en enfer ». Le message est clair.

Le 27 octobre, un avion de reconnaissance américain est abattu dans le ciel de Cuba. Kennedy fait preuve de sang-froid, il donne l’ordre de ne pas riposter. Le moindre faux pas et le monde s’embrase.

Un des quatre sous-marins soviétiques, le B-59, se retrouve encerclé par les destroyers américains qui le prenaient en chasse. Il décide de plonger. Les destroyers américains larguent des grenades sous-marines pour inciter le B-59 à refaire surface. Le Commandant du B-59 constate trois choses : ses communications avec l’extérieur sont impossibles, les systèmes de survie de son sous-marin commencent à décliner faute d’énergie, et on entend des explosions. Pour lui, la guerre a commencé. Il ordonne à son équipage de préparer une torpille nucléaire de 10 kilotonnes. Pour lancer une torpille nucléaire, deux hommes doivent être d’accord : le Commandant et l’officier politique, disposant chacun d’une clé, les deux clés étant indispensables au lancement. L’officier politique soutient le Commandant : la torpille nucléaire est insérée dans le lance-torpille. Il existe un accord entre les quatre sous-marins : si l’un d’eux use d’une torpille nucléaire, les autres doivent en faire de même. Si le B-59 lance sa torpille, la guerre nucléaire commence. In extremis, un officier, Vassili Arkhipov, arrive à convaincre le Commandant : refaire surface pour rétablir les communications avec Moscou avant de lancer la torpille. Moscou ordonne ne pas tirer mais de se tenir prêt si les navires américains lancent une attaque, ce qu’ils ne feront pas. Le monde est sauvé pour l’instant.

Le 28 octobre, la CIA annonce que 24 missiles soviétiques à Cuba sont désormais opérationnels et pointés sur des points précis du sol américain. Pour les Etats-Unis, si les installations ne sont pas démantelées dans les 24 heures, l’armée lancera une attaque aérienne pour les détruire.

Depuis quelques jours, des négociations sont en cours. Mais les deux chefs des superpuissances ne se parlent pas directement, c’est la cacophonie. Deux canaux de communication sont en place, un officiel et un officieux. Le canal officiel consiste en la rencontre de deux personnages : Robert Kennedy, le frère du Président, et Anatoli Dobrynine, l’ambassadeur de l’URSS à Washington. Pour le canal officieux, tout est possible : un homme d’affaires américain qui rentre de Moscou (cf. supra), un agent russe présent sur le sol américain, on va même voir un présentateur télé américain, John Scali, discuter avec un conseiller de l’ambassadeur soviétique !

Les propositions pour sortir de la crise vont bon train, mais le 28 octobre, c’est la fin. Robert Kennedy se rend à l’ambassade soviétique, c’est le rendez-vous de la dernière chance.

Le monde peut souffler, un compromis est trouvé : Khrouchtchev ordonne de démanteler les sites de missiles et fait stopper tous ces navires encore en route pour Cuba. Les sous-marins repartent en haute mer, sauf un, le Ketov, qui restera toujours introuvable ! Du côté américain, Kennedy promet de ne pas envahir Cuba, et de retirer les missiles Jupiter de Turquie et d’Italie. Ce dernier engagement ne coûte rien aux Etats-Unis, il était déjà prévu de les retirer car ils étaient trop vulnérables. Peu importe, l’important en politique, c’est que personne ne perde la face.

Pour éviter une nouvelle cacophonie dans les communications entre les deux superpuissances nucléaires, il est décidé de mettre en place une ligne de communication directe entre la Maison-Blanche et le Kremlin, c’est le fameux « téléphone rouge ». L’idée vient d’un journaliste américain, Jess Gorkin, qui avait publié un article dans son journal deux ans plus tôt dont la question finale était : « Must a world be lost for want of a telephone call? » (« Un monde peut-il être perdu faute d'un coup de téléphone ? »).

Cette ligne, installée en 1963, a été modernisée et passe désormais par la fibre optique. C’est exact, le « téléphone rouge » entre le Kremlin et la Maison-Blanche est toujours opérationnel aujourd’hui.

Tristan CHOPPIN HAUDRY de JANVRY

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